L’affaire Nathalie Yamb (photo) cache mal la guerre larvée que se livrent Paris et Moscou en Afrique. Le document du ministère français de l’Intérieur, qui déclare l’influenceuse Suisso-Camerounaise persona non grata en France présente bien cette dernière comme une « francophobe ». « Elle se fait également le relais de la propagande pro-russe diffusée depuis le continent africain », indique le même document. En conclusion, une éventuelle présence de Nathalie Yamb sur le sol français « constituerait, du point de vue de l’ordre et de la sécurité publique, une menace réelle ».
Dans la classe politique française, cette décision du gouvernement français est soutenue par la majorité au pouvoir. Thomas Gassilloud, député de la 10e circonscription du Rhône qui milite au sein de La République en marche, le parti du président Emmanuel Macron, a lui aussi indiqué que Nathalie Yamb est un relais de la propagande russe en Afrique. Dans l’opposition, aucune voix n’a critiqué cette décision. La preuve que la lutte contre la propagande russe met d’accord toutes les familles politiques françaises dans un environnement où plusieurs sujets divisent en ce moment les Macronistes et l’opposition.
D’ailleurs, Nathalie Yamb n’est pas la première à faire les frais de cette guerre froide contre l’avancée de l’influence russe sur le continent africain. En mars dernier, RT France, chaîne de télévision pro-russe, a été interdite de diffusion sur l’Hexagone au motif qu’elle est un relais de cette propagande russe. L’agence de presse Sputnik a subi le même sort.
Cartographie
Quand ce n’est pas le gouvernement français qui expulse les relais de la propagande russe, c’est Emmanuel Macron lui-même qui monte au créneau. Lors de sa visite officielle au Cameroun, au mois de juillet, le président français a clairement dénoncé l’influence de la Russie sur le sol africain. Il y a quelques semaines, il est revenu à la charge alors qu’il entretenait les diplomates français. Pendant cette rencontre, Emmanuel Macron a pointé du doigt ce qu’il a appelé « le narratif russe » sur le continent.
Selon toutes vraisemblances, Paris a des raisons de regarder d’un mauvais œil l’avancée de l’influence russe en Afrique. C’est du moins ce que confirme le Centre africain pour les études stratégique, un think tank qui dépend du Département de la défense américain. Ce dernier publie une cartographie qui montre que la propagande russe en Afrique s’accompagne d’une campagne de désinformation avec deux piliers majeurs : les barbouzes de la société de mercenaires russes Wagner et les campagnes coordonnées des influenceurs pro-russes sur les réseaux sociaux. C’est dans cette dernière catégorie que cette étude classe Nathalie Yamb aux côtés de Kemi Seba ou encore le philosophe camerounais Franklin Nyamsi.
Pour la France, il ne fait aucun doute que ces influenceurs sont responsables de la montée du sentiment anti-français sur le continent. Les vidéos de Nathalie Yamb sur les réseaux sociaux ne sont effectivement pas favorables à la France. Elle fustige la présence des bases militaires françaises en Afrique, le franc CFA, l’opération Barkhane dans le Sahel… Le document du ministère français de l’Intérieur cité plus haut rappelle que Nathalie Yamb « encourage le recours à la violence à l’encontre des symboles de la présence française en Afrique susceptible de favoriser l’entrisme des puissances étrangères hostiles à la France sur le continent africain ».
Quand la France se plaint de la présence de Wagner aux côtés de junte militaire au Mali et du régime de Faustin Archange Touadéra en République centrafricaine (RCA), Nathalie Yamb, elle, s’affiche avec Maurice Wilfried Sebiro, l’un des conseillers de Touadéra présenté par Paris comme l’artisan de la propagande anti-française à Bangui. De même, l’influenceuse ne cache pas sa sympathie pour le colonel Assimi Goïta au Mali.
« La dame de Sotchi »
En tout cas, Nathalie Yamb n’a jamais nié sa proximité avec la Russie. Elle se fait d’ailleurs appeler « la dame de Sotchi » en rapport au sommet Russie-Afrique de Sotchi qu’elle a soutenu. Vu de France, ce sommet n’était rien d’autre qu’un pion que le président russe Vladimir Poutine avançait sur l’échiquier africain. Car la diplomatie russe en Afrique est très active. Le 25 mai dernier, pour commémorer la Journée mondiale de l’Afrique, Sergueï Lavrov, le ministre des Affaires étrangères de la Russie, a invité les ambassadeurs africains à écouter un discours qui dénonce les vestiges de l’héritage colonial occidental.
La Russie investit aussi le champ du soft Power. Le film « Touriste » produit par Evgueni Prigojine, un proche de Poutine présenté comme le patron du groupe de mercenaires de Wagner, est une fiction qui participe du narratif russe sur le continent. On y découvre des soldats russes, invités par le gouvernement de Bangui pour repousser une colonne de rebelles avec à leur tête François Bozizé, présenté comme proche de Paris…
La guerre larvée entre la France et la Russie bat son plein. Et une chose est certaine, les autorités françaises ne comptent pas perdre la main sur leur pré-carré africain. La stratégie pour y arriver n’est pas clairement lisible. « Le piège africain de Macron », le livre des journalistes Antoine Glaser et Pascal Airault, montre en tout cas comment la politique africaine du président français a du mal à se mettre en place. Par contre, le palais de l’Élysée a prouvé qu’il va continuer de protéger le sol français contre toute intrusion des relais de la propagande russe, souvent entretenues par le Kremlin.
Sauf que Nathalie Yamb soutient mordicus qu’elle n’est pas un suppôt de Moscou. « Je ne suis pas une esclave. Je ne suis l’esclave de personne. Je ne l’ai jamais été. J’ai vécu, je vis et je vivrai en femme libre. Et je mourrai en femme libre », a-t-elle posté sur sa page Facebook après la décision de Paris de lui interdire tout séjour sur le territoire français ?
Michel Ange Nga
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