La nomination de l’artiste musicien camerounais engagé et multirécompensé Blick Bassy pour codiriger la commission Mémoire sur la guerre d’indépendance au Cameroun fait l’objet de vives critiques de la part de ses compatriotes historiens. « Si on a pu trouver qu’un musicien pour représenter ceux qui doivent participer à cette commission, je pense que c’est une grosse insulte à notre endroit. Il est tout à fait normal que nous puissions exprimer notre indignation parce que les historiens camerounais sont suffisamment connus et méritent un peu plus de respect », a réagi le président de la Société camerounaise d’histoire, le professeur Daniel Abwa (photo), sur BBC Afrique.

« Faire une commission sur l’histoire du Cameroun et ne pas y avoir comme co-directeur au moins un historien camerounais, résidant et enseignant au Cameroun, est une insulte à l’historiographie camerounaise. On sait tous que cette dernière a beaucoup de problèmes, dont l’invisibilisation de la production et l’absence de plus en plus inquiétante de profils internationaux sont les plus importantes. Mais la position d’observation est plus qu’importante dans un tel rapport », s’insurge l’historien Brice Molo. Ce dernier regrette que le Cameroun n’ait pas désigné lui-même ses membres comme l’a fait l’Algérie qui a nommé les cinq historiens qui représentent le pays au sein de la commission mixte franco-algérienne.

Daniel Abwa n’écarte cependant pas toute possibilité de collaboration avec la commission mixte chargée de travailler sur l’action de la France au Cameroun pendant la colonisation et après l’indépendance du pays. « S’ils veulent travailler avec les historiens camerounais, le problème ne se pose pas. Ils n’ont qu’à nous contacter et on pourrait facilement trouver, dans notre milieu, des gens capables de participer à ce mouvement sans qu’il y ait des problèmes. Mais l’impression que nous avons, c’est qu’en réalité, on voudrait faire ce travail sans les historiens camerounais », affirme ce dernier, connu pour ses travaux sur l’histoire coloniale et postcoloniale du Cameroun.

Les félicitations de Cabral Libii

Au sein du Parti camerounais pour la réconciliation nationale (PRCN), on se montre plutôt enthousiaste. « Bravo à notre compatriote Blick Bassy qui va co-diriger la “Commission Mémoire” sur le Cameroun avec l’historienne (française, NDLR) Karine Ramondy. Nous comptons sur lui pour avoir la lumière sur l’histoire du Cameroun de 1955 à 1971 », a déclaré, dans un tweet, son président, le député Cabral Libii.

Bravo à notre compatriote Blick BASSY qui va co-diriger la "Commission Mémoire" sur le Cameroun avec l'historienne Karine RAMONDY. Nous comptons sur lui pour avoir la lumière sur l'histoire du Cameroun de 1955 à 1971. pic.twitter.com/FBJoMZ6fbs

— Cabral LIBII (@CabralLibii) February 21, 2023

 « Il est l’un des rares, sinon le seul artiste de cette envergure, à avoir récemment consacré un projet musical à Ruben Um Nyobè, intitulé “1958”, en mémoire à l’assassinat du Mpodol le 13 septembre 1958. Un projet engagé qui lui a forcément permis d’attirer l’attention sur cette période restée taboue dans les milieux français », justifie pour sa part le journaliste sportif Martin Camus Mimb qui se réjouit également de cette nomination sur Facebook.

La création de la commission Mémoire sur l’indépendance du Cameroun a été annoncée en juillet 2022 par Emmanuel Macron, lors de sa visite officielle dans le pays. Le président français affirmait que celle-ci serait composée d’historiens camerounais et français et serait chargée de « faire la lumière » sur le rôle de la France pendant la guerre d’indépendance au Cameroun.

« L’objectif de cette commission est tout simplement de faire la lumière sur une période cruelle. Je parle de la période 1945 à 1971. L’idée ici est tout simplement de pouvoir regrouper les éléments factuels, les archives, les témoignages, pour que nous puissions tout simplement avoir un rapport qui décrit le rôle des uns et des autres », explique à RFI Blick Bassy, dont le dernier opus rend hommage à Ruben Um Nyobe, figure de la lutte pour l’indépendance, tuée par l’armée française le 13 septembre 1958.

Patricia Ngo Ngouem

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