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Microprojets de développement : Arabes Choa et Mousgoums se regardent en chien de faïence dans le Logone-et-Chari

Microprojets de développement : Arabes Choa et Mousgoums se regardent en chien de faïence dans le Logone-et-Chari

Paru le lundi, 19 juin 2023 08:09

Dans la commune de Kousseri, département du Logone-et-Chari, région de l’Extrême-Nord, un magasin de stockage est en construction dans le village Arkis. La construction de cette infrastructure réunit 150 jeunes selon l’approche Haute intensité de main-d’œuvre (Himo) mis en œuvre par le Programme national de développement participatif (PNDP), grâce à des financements de l’Agence française de développement à travers le guichet Minka. Ces jeunes sont tous des Arabes Choa originaires du village.

Or d’après des responsables du projet, le recrutement des jeunes s’est fait dans un rayon de 5 km et a touché de jeunes Mousgoum. Mais ces derniers sont absents sur le chantier. « Les Mousgoum étaient là au début de la construction, mais ils sont partis », explique Abdoulaye Abdouramane, jeune manœuvre Arabe Choa sur le projet. Il ne sait pas pourquoi les jeunes Mousgoum sont partis et ne semble pas le regretter. D’autres responsables du projet dédramatisent l’absence des jeunes Mousgoum sur le site de construction du magasin arguant qu’Arkis est avant tout un village Arabe Choa et qu’il est normal de ne retrouver que des jeunes de cette communauté sur le projet.

La réalité semble tout autre, à en croire Eric Didier Nyemeck, point focal de l’unité Himo du PNDP à Kousseri. « Les Mousgoum étaient là au début du projet. Ils sont partis parce qu’ils ne se sentaient pas en sécurité. Pendant les derniers affrontements intercommunautaires, les Mousgoum ont détruit ce village et tué des habitants. Vous remarquerez que les cases ont été récemment reconstruites parce que les gens sont rentrés il n’y a pas longtemps ». Pour lui, les Mousgoum craignaient de nouvelles représailles en participant à ce chantier.

Méfiance mutuelle

En effet, le village porte encore les stigmates des violents affrontements entre Arabes Choa et Mousgoum de 2021. Cette année-là, les deux communautés se sont affrontées en août et en décembre. Ce qui a mis le feu aux poudres, ce sont les disputes autour des points d’eau. Les Mousgoum sont des agriculteurs qui creusent des mares en saison des pluies pour recueillir de l’eau utile en saison sèche pour leurs cultures. Ces mares deviennent des pièges pour les bêtes des Arabes Choa qui sont des éleveurs. D’après plusieurs sources locales, l’étincelle est partie d’un Arabe Choa qui aurait tué un Mousgoum parce qu’une de ses bêtes est morte dans une mare creusée par ce dernier. Les Mousgoum ont riposté en attaquant des villages Arabe Choa et en tuant leurs habitants. À ces disputes, ce sont ajoutés les pêcheurs, pour la plupart des Mousgoums, qui profitent eux aussi des poissons générés dans les mares. À Akris notamment, le chef du village a été tué avec ses notables, et l’un de ses fils est employé dans le chantier.

En sus d’Arkis, une mare artificielle est en construction dans le village Ngamadja, à quelques kilomètres de là. Idem dans l’arrondissement de Logone Birni, foyer de ces affrontements en 2021, où des projets de réhabilitation de routes sont en cours. « Sur les chantiers d’Arkis et Ngamadja, il y a eu ces problèmes. Et même sur les deux autres chantiers du Logone Birni », ajoute Eric Didier Nyemeck. Dans le Logone Birni, les tensions ont émergé à l’entame des projets. C’est ce qu’explique le point focal Himo du PNDP : « au début, quand on lançait le projet, nous avions des orientations des autorités administratives qui allaient dans le sens de ne pas les mettre ensemble et de les séparer. C’est-à-dire faire un groupe à part pour les Arabes Choa et un autre pour les Mousgoum. Là, nous sommes en début mai 2022 et le conflit était encore récent. Il y a même certains villages qui étaient dévastés et dans d’autres l’ensemble de la population s’est déplacé. Quand nous sommes arrivés, nous avons respecté les instructions des autorités, mais nous nous sommes rendu compte que la méfiance était encore plus grande ».

Détourner les jeunes de la misère

Pour éviter de plomber les projets, qui avaient déjà pris beaucoup de retard, les responsables vont suivre ce que demandaient les deux communautés. « Ce sont eux-mêmes qui ont commencé à nous demander de changer l’organisation du chantier parce qu’ils ne se sentaient pas en sécurité de se retrouver tout seuls dans un endroit particulier pour faire les travaux. Chacun disait être vulnérable à une attaque de l’autre communauté. Ils préféraient donc être mélangés et se surveiller mutuellement. C’est ainsi que nous les avons mélangés, plutôt que de les séparer », explique notre interlocuteur.

Plus d’un an après ces affrontements de décembre 2021 qui ont fait officiellement 44 morts et de nombreux blessés, les deux communautés continuent à se regarder en chiens de faïence. Mais pour certains, des projets à l’instar de ceux mis en œuvre dans la zone à travers l’approche Himo du PNDP ont l’avantage de concentrer les jeunes sur la recherche de moyens pour survivre. Chaque jeune est payé 3 000 FCFA par jour avec une retenue du tiers qui leur est reversé à la fin du projet pour développer une activité génératrice de revenus. « Il y a la recherche du gain, parce que les tensions ont créé une sorte de misère indescriptible. Donc les jeunes voyaient dans le projet la possibilité de se faire de l’argent et de se reconstruire. Ce facteur faisait en sorte que les gens étaient obligés de se supporter dans l’objectif d’avoir le gain journalier recherché », analyse Didier Nyemeck.

C’est aussi l’avis d’Abadam Djibrin, secrétaire général de la commune de Kousseri. Ce responsable refuse cependant de parler de méfiance entre les deux communautés et préfère célébrer la cohésion sociale retrouvée autour de ces microprojets. « Toutes les ethnies sont représentées. C’est un facteur de cohésion sociale entre les communautés. Qu’importe l’ethnie, elles sont toutes représentées dans les chantiers », déclare-t-il.

L.A.

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