Le souverain qui règne sur une grande partie du département du Logone et Chari, dans la région de l’Extrême-Nord, explique que c’est le manque d’espace qui fait perdre à son sultanat des investissements publics. Cela pourrait également expliquer les tensions intercommunautaires enregistrées dans cette zone entre éleveurs et agriculteurs.
Pouvez-vous nous présenter la ville de Kousseri et le sultanat sur lequel vous régnez ?
Déjà, il faut savoir que cette ville a été créée il y a quelques siècles avant Jésus Christ par les Sao. Ce sont les Sao qui ont fondé la ville de Kousseri. À l’origine, ils ont baptisé cette ville « M’Sr ». Nous savons que les Sao ont tous été chassés par un pharaon et sont venus se réfugier autour du bassin du lac Tchad. Ils ont été chassés d’une ville égyptienne qui s’appelle « Ma’Sr ». Raison pour laquelle en s’installant dans le bassin du lac Tchad, ils ont créé une ville qu’ils ont baptisée M’Sr.
Et c’est à partir de l’an 195 que cette ville a été bien structurée et bien organisée en chefferie. Les premiers chefs étaient des Sao. Plusieurs d’entre eux ont régné avant notre ère. S’il faut me situer aujourd’hui en tant que sultan, je suis le 44e sultan musulman. Je dis musulman, car plusieurs Sao ont d’abord régné. Après ces Sao, il y a eu aussi des animistes qui ont également régné.
À partir du 16e siècle, l’islam est entré ici. Je suis donc le 44e sultan musulman. Après la bataille du 23 avril 1900 entre les colons français et Rabat ici à Kousseri, cette ville a été rebaptisée Fort Fourreau, du nom du commandant Foureau qui était le chef des troupes qui ont affronté Rabat, et qui a perdu la vie ici à Kousseri. Nous sommes aujourd’hui les descendants de ces hommes de grande taille qu’étaient les Sao.
Quels sont les groupes et communautés qui vivent dans votre sultanat ?
Comme je l’ai dit au départ, ce sont les Sao qui ont fondé la ville. Et leurs descendants directs sont les Kotoko. Après les Kotoko, les premiers à Kousseri c’était les Arabes Choa. Ce sont ces derniers qui sont venus s’installer avec les Kotoko et qui ensemble ont développé cette ville. Après les Arabes, sont venus les Massa, les Sara arrivés du Tchad, etc. Vous trouvez ici toutes les composantes sociologiques de la sous-région parce que c’est une ville carrefour. Nous sommes à deux pas de la ville de Ndjamena, à 150 km de du Nigeria. Vous allez également trouver les Nigérians, les Nigériens, les Burkinabés, les Sénégalais, etc.
Quels sont les problèmes de développement à la base des populations de Kousseri ?
En matière de développement, ce qui nous préoccupe aujourd’hui à Kousseri c’est l’espace. Je vais un peu entrer dans l’histoire pour vous expliquer. À la conférence de Berlin qui a départagé l’Afrique, seul le sultanat de Kousseri a perdu 95 % de ses terres du côté du Tchad. Parce que nous comptons plus de 300 villages qui sont restés au Tchad. Je vais prendre un exemple simple : ces notables qui sont ici, la majorité d’entre eux portent encore les noms des villages qui sont au Tchad. Aujourd’hui, cette chefferie a été beaucoup rétrécie, et nous avons un problème d’espace. Nous avons un problème d’espace pour le pâturage et pour que la population puisse pratiquer l’agriculture. Nous sommes au départ un peuple d’agriculteur et d’éleveurs. Les Arabes Choa sont des éleveurs, les Kotokos sont les agriculteurs et des pêcheurs en même temps. Aujourd’hui, par manque de terres, les gens sont obligés de s’orienter beaucoup plus dans le commerce. Voilà le problème que nous avons ici.
Et quel est l’impact de ce manque d’espace dans le sultanat de Kousseri ?
Vous savez, dernièrement, nous avons reçu certains investissements ici à Kousseri. Prenons juste le cas des investissements publics. Il y a l’École des mines qui était censée être implantée ici à Kousseri. Mais par manque d’espace, cette école a été transférée dans le département du Mayo Kani. Il y a également une branche de l’Université de Maroua qui devait aussi être implantée ici. Les autorités administratives, municipales et traditionnelles ont choisi un site à côté de la ville en allant vers Maltam. Nous avons eu des problèmes parce que cet endroit est réservé au parc de Kalamaloue, le corridor des éléphants. Vous voyez qu’aujourd’hui nous recevons des investissements publics, mais nous n’avons pas assez de terres pour les implanter. On manque d’espace ici à Kousseri.
Qu’en est-il des inondations qui frappent régulièrement la ville ?
Vous savez que les inondations ici à Kousseri c’est un phénomène naturel connu depuis nos ancêtres. Nous sommes dans une zone inondable. Nous savons qu’après la saison des pluies, nous avons la montée des eaux, parce qu’il y a des cours d’eau qui alimentent le fleuve Logone. Et lorsque ces cours d’eau baissent, le niveau du Logone augmente automatiquement. Et cette eau remplit le bassin et doit se reverser dans la plaine du Logone. Et l’erreur que nous avons commise, c’est que beaucoup de gens, par manque d’espace comme je l’ai dit, ont construit sur la voix des cours d’eau. Chez nous, il y a un adage qui dit que l’eau c’est comme un habitant d’une localité. Même si pendant dix ans il n’est pas là, un jour il va rentrer chez lui. Chaque année, nous connaissons cela, mais exceptionnellement l’année dernière, ces eaux ont atteint un niveau maximal. Ce qui a touché beaucoup de personnes. Les plus âgés disent que la dernière fois que les eaux sont montées autant, c’était il y a 60 ans.
Il y a deux ans, cette zone a été le théâtre d’affrontements intercommunautaires. Qu’est-ce qui s’est passé et la paix est-elle revenue aujourd’hui ?
Effectivement, c’était un évènement regrettable qui s’est déclenché dans l’arrondissement de Logone Birni entre éleveurs et pêcheurs. C’est un problème tout à fait nouveau. Le problème a souvent été entre éleveurs et agriculteurs. Mais cette fois-ci, cela a été entre éleveurs et pêcheurs. C’est un malentendu qui n’a pas été géré à temps. Sinon le problème entre éleveurs et agriculteurs est récurrent ici. Et parfois, on n’a pas besoin de faire recours à l’administration ou à la justice. Dans les villages les gens ont toujours trouvé des voies de réconciliation. Cette fois-ci, les choses ont peut-être été négligées et cela a atteint le niveau qu’on a vu.
Aujourd’hui, les gens ont compris l’importance de la paix et les gens sont rentrés dans leurs villages et vaquent librement à leurs occupations. Nous espérons que ce sera pour longtemps.
L.A.