Le prix Edward A. Bouchet a été décerné cette année à la physicienne d’origine camerounaise Alvine Kamaha, professeure adjointe à l’Université de Californie à Los Angeles (communément désignée par l’acronyme UCLA) aux Etats-Unis. La lauréate en a d’ailleurs fait l’annonce sur son compte X (ex-Twitter).
I am ecstatic to have been selected by #APS honors committee as the 2024 Edward A. Bouchet award recipient https://t.co/PtJpq5WIoZ pic.twitter.com/PamlWuTTJR
— Alvine Kamaha (@AlvineKamaha) October 24, 2023
Ce prix récompense « un éminent physicien appartenant à une minorité qui a apporté d’importantes contributions à la recherche en physique et à l’avancement des scientifiques issus de minorités sous-représentées », selon l’Association américaine de physique (APS, sigle en anglais), qui prime chaque année les « réalisations exceptionnelles » dans les domaines de la recherche, de l’éducation et de la fonction publique.
Elle a remporté ce prix « pour son leadership et ses réalisations clés dans la recherche expérimentale de la matière noire dans l’univers, y compris les progrès en matière de pureté radioactive, ainsi que ses contributions à la sensibilisation, à la diversité et à l’inclusion grâce au service et au mentorat des étudiants », précise APS. Alvine Kamaha sonde l’obscurité dans le but de percer les mystères de notre univers.
« Ce que j’étudie - en quelque sorte -, c’est l’obscurité entre les étoiles. Ces étoiles se trouvent dans des galaxies entourées d’un halo de matière non lumineuse (également appelée matière noire), qui les maintient gravitationnellement liées. Cette matière noire fascinante est présente depuis le tout début de l’univers, agissant presque comme une "colle" qui a facilité la formation de structures à grande échelle - les galaxies - et elle a également un impact sur la façon dont notre univers évolue », raconte-t-elle sur le site de l'UCLA.
Groupe de recherche
Elle est à la tête d’un groupe de recherche baptisé ExCaliBUR (Experimental Detector Calibrations & Background Controls for Underground Particle Physics Research) qui vise à contribuer aux efforts mondiaux en cours pour découvrir et sonder directement la nature de la matière noire, une particule hypothétique qui représente environ 85 % de la masse de l'unviers selon les théories. Elle travaille notamment sur divers projets visant à optimiser certaines technologies existantes de détection de matière noire et à en développer de nouvelles. Après l’obtention d’une licence et d’une maîtrise en physique à l’Université de Douala, Alvine Kamaha s’envole pour l’étranger pour poursuivre ses études.
« À l’époque, il n’y avait pas de physique expérimentale des particules au Cameroun. Il était également difficile d’obtenir une spécialisation en physique en général en raison des préjugés sexistes dans le système éducatif », dit-elle. C’est en Italie, alors qu’elle poursuit son deuxième master en physique des hautes énergies qu’elle tombe « amoureuse » de la physique des neutrinos et de la matière noire. Son diplôme en poche, elle décide de passer de la physique théorique à la physique expérimentale et part au Canada, où elle obtient son PhD en physique des astroparticules en 2015.
Après avoir terminé ses travaux de doctorat sur l’utilisation de la technologie de détection des chambres à bulles pour rechercher la matière noire, Kamaha a ensuite rejoint plusieurs expériences pour acquérir une expertise supplémentaire dans plusieurs technologies de détection de particules. Elle est actuellement membre de l’expérience Lux-Zeplin, un projet international de détection directe de matière noire basé dans une installation souterraine du Dakota du Sud et qui réunit près de 250 scientifiques issus de 35 instituts aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, au Portugal et en Corée.
Même si la matière noire n’a pas encore été observée directement, Kamaha est persuadée de son existence. « Nous recherchons la matière noire depuis plus de 80 ans. Même si nous ne l’avons pas encore trouvée, nous avons beaucoup appris. Parfois, ne rien trouver n’est pas mauvais, cela fait simplement partie du processus scientifique. Je veux que mes élèves vivent selon cette leçon : peu importe ce qu’ils font - qu’ils deviennent scientifiques ou choisissent une voie différente - rester ouverts d’esprit, curieux et ingénieux sont des compétences inestimables à posséder », affirme la physicienne.
Patricia Ngo Ngouem