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L’affaire Ernest Obama relance le débat sur le respect des procédures judiciaires

L’affaire Ernest Obama relance le débat sur le respect des procédures judiciaires

Paru le mardi, 23 juin 2020 07:37

Jusqu’à la matinée du lundi 22 juin 2020, le journaliste Ernest Obama était encore gardé à vue au secrétariat d’État à la défense (SED). Il a été arrêté le 18 juin dernier dans le cadre d’une affaire qui l’oppose à Jean Pierre Amougou Belinga, PDG du groupe L’Anecdote auquel appartient la chaîne de télévision Vision 4, qu’il a dirigée entre 2015 et 2019.

Le sujet fait grand bruit dans les milieux médiatiques et surtout politiques. Journalistes, hommes politiques, intellectuels et autres leaders d’opinion enchaînent des sorties sur cette affaire qui remet au goût du jour le débat sur le respect des procédures et des droits des prévenus et même « de la justice privée et populaire».

Arrestation arbitraire

À en croire Christophe Bobiokono, journaliste, membre du Conseil national de la communication (CNC) et membre de la Commission nationale des droits de l’Homme et des libertés (CNDHL), Ernest Obama a été interpellé « sans plainte, ni aucune convocation alors que rien ne justifiait l’emballement qui a été orchestré par le procureur de la République du TPI (tribunal de première instance) de Yaoundé centre administratif ».

Xavier Messe, ex directeur des Rédactions du journal L’Anecdote, s’insurge contre le fait que les caméras de la télévision Vision 4 aient « continué de filmer Ernest Obama totalement désemparé, jusque dans les locaux de la gendarmerie où il a été conduit ». « À l’époque de Dillinger et d’Al Capone au début des années 30 aux États-Unis, même quand on prenait un de ces flingueurs en flagrant délit, on préservait sa dignité humaine. On lui réservait un minimum de présomption d’innocence, jusqu’à ce que la justice américaine établisse sa culpabilité et que des sanctions conséquentes lui soient appliquées », a-t-il commenté.

Selon certains juristes, l’arrestation d’Ernest Obama n’a pas respecté les canons. Me Emmanuel Simb, avocat au barreau du Cameroun fait partie de ceux qui émettent cet avis. « [Ernest Obama] est un personnage connu, il a un domicile à Yaoundé. S’il y a des griefs contre lui, le plus simple, aurait été qu’on lui envoie une convocation, et qu’il défère dignement à cette convocation… Comment comprendre qu’un homme soit à son lieu de service habituel, et qu’on mette une telle armada pour son arrestation », s’interroge-t-il.

Justice privée

Son confrère du barreau Me Claude Assira y voit une entorse « grave » au fonctionnement de la justice camerounaise. « La mise en scène orchestrée pour son interpellation, les moyens mis en œuvre sont tout simplement hallucinants et interrogent gravement sur le fonctionnement de la justice qui semble appartenir à ceux qui peuvent en disposer à leur guise », a-t-il écrit.

Louis Marie Kakdeu va plus loin. Pour ce chercheur et enseignant, l’affaire Obama constituerait un potentiel cas de justice populaire sous la forme d’un « lynchage médiatique ». Pour soutenir cette thèse, il convoque une réflexion de Daniel Mekobe Sone, président de la Cour Suprême du Cameroun.

« Pour se venger contre un adversaire ou un ennemi ou une personne que l’on ne porte pas à cœur, on monte savamment des images de nature à porter atteinte à son honneur ou à sa considération et on les diffuse sans vergogne sur les réseaux sociaux. On accompagne ces images des messages où il est déjà jugé et condamné. Certaines radios se permettent de devenir de véritables tribunaux populaires, en oubliant que même la liberté de la presse a des limites. Aujourd’hui dans notre pays, nul n’est à l’abri du “lynchage médiatique” », déclarait le président de la plus haute juridiction du Cameroun.

Et de ce point de vue, les reportages et autres articles à charge contre Ernest Obama qui irradient la presse participeraient d’un lynchage médiatique et donc un cas de justice populaire.

Vision de Paul Biya

Mais cette lecture ne fait pas l’unanimité. Pour Eric Mathias Owona Nguini « C’est un magistrat qui va juger Ernest Obama et rendre son verdict, ce n’est pas Amougou Belinga qui juge. Quoi qu’on dise, Amougou Belinga est un homme qui a un grand cœur », défend l’universitaire et consultant de la chaîne de télévision Vision 4.

Dans tous les cas, le débat en cours est également celui de la crédibilité des institutions judiciaires et de la responsabilité des Hommes chargés de rendre justice. Un sujet sur lequel les autorités camerounaises se sont souvent exprimées y compris le président Paul Biya. L’une de ces sorties les plus marquantes à propos remonte au 1er décembre 2009, lors du cinquantenaire de l’École supérieure d’administration et de magistrature (Enam). 

« La justice est la plus haute instance de régulation sociale et la poutre maîtresse de la démocratie dans un État de droit. Rendre la justice est une noble mission, mais aussi une lourde responsabilité. Ici, c’est l’éthique et la déontologie qui doivent servir de guides. Et la République qui confie au magistrat le soin de veiller au respect des lois ne peut tolérer les défaillances », avait alors déclaré le chef de l’État.

Baudouin Enama

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