En prenant la tête du Social Democratic Front (SDF) en octobre 2023, le député Joshua Osih (55 ans) a promis à sa famille politique de transformer ce parti de gauche. Parti de 43 sièges à l’Assemblée nationale en 1996, le SDF qu’hérite le natif de Kumba dans la région du Sud-Ouest a chuté à 5 députés à l’issue du scrutin de février 2020. Un chiffre revu à la baisse depuis la récente exclusion du député Jean-Michel Nintcheu. La presse internationale qui suit de près le parcours de Joshua Osih, caricature son « chantier » comme un jeu d’équilibre entre l’aile radicale de l’opposition et le pouvoir de Yaoundé. Certains chroniqueurs politiques n’hésitent pas à parler d’une opposition « modérée ». Même si pour beaucoup, il n’y a rien de nouveau dans la démarche de Joshua Osih. « À bien regarder de près, il n’y a pas de véritable changement au SDF. Car il n’y a pas une nouvelle vision. Il [Joshua Osih] s’inscrit dans ce que John Fru Ndi a été dans ses dernières années d’opposition », analyse Léonel Loumou, du cabinet Orin Consulting, qui conseille certains politiques locaux.
Joshua Osih admet lui-même qu’il est le prolongement de son pygmalion, John Fru Ndi. « Il m’a tout appris », avouait le député sur les ondes de RFI après la mort de son mentor. Quand il parle de l’homme politique modéré qu’a été Fru Ndi, Joshua Osih est loquace : un homme de consensus, un homme qui croyait fermement qu’il fallait se garder de porter l’estocade mortelle à un adversaire politique… Joshua Osih conclut qu’un adversaire politique n’est pas un ennemi.
Mais personne n’a oublié le début de la décennie 1990, les fameuses années de braise pendant lesquelles le SDF de John Fru Ndi n’a jamais hésité à défier le régime de Paul Biya. Après le résultat de l’élection présidentielle de 1992, le chairman, arrivé en deuxième position, conteste sa défaite et appelle les Camerounais à descendre dans la rue. À en croire Joshua Osih, c’est juste l’endroit du décor. Dans une récente interview, il rappelle que des solutions radicales avaient été proposées à John Fru Ndi à 1992, mais il les a déclinées. « Il a refusé de gouverner le Cameroun sur le sang des Camerounais », indique Joshua Osih.
Ce dernier sait donc de qui tenir pour mener à bien la barque du SDF. Premier challenge : changer cette perception radicale que l’opinion a du parti de la balance. « Nous croyons aux valeurs et aux vertus de la démocratie », faisait-il savoir à RFI. Le SDF s’est pour cela gardé d’encourager les Camerounais en colère à descendre dans la rue pour contester les résultats de la dernière élection présidentielle. Plus encore, le SDF a refusé de servir de caution politique à l’irrédentisme anglophone dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest (Noso).
En plus de soigner l’image du SDF, Joshua Osih veut aussi expurger les dernières séquelles de la guerre de clochers qui l’a longtemps opposée au député Jean-Michel Nintcheu, qui a depuis été expulsé du parti. Certains cadres du SDF ne cachent pas leur agacement quand la presse essaye de rappeler cette guerre intestine. Ils expliquent invariablement que Joshua Osih est désormais à la manœuvre et que le parti se projette clairement vers la prochaine élection présidentielle. En 2018, Joshua Osih avait terminé quatrième avec un score de 3,35 %. Jamais le parti n’était descendu aussi bas. Sauf qu’au SDF, on nuance cette débâcle en indiquant que plus de 800 000 électeurs dans le Noso, le vivier électoral du parti, n’ont pas pu voter. Le rendez-vous est donc pris pour 2025.
Ange Michel Nga
La situation politique actuelle du Cameroun renforce à coup sûr l’importance du président du Conseil constitutionnel, Clément Atangana. Alors que le président de la République sera bientôt nonagénaire, l’éventualité d’une vacance à la tête de l’État n’est plus un tabou. Et si jamais le scénario venait à se produire, c’est à ce magistrat de 81 ans que la Constitution donne la charge de constater que « le chef de l’État n’est plus à mesure de gouverner ». C’est le point de départ du processus constitutionnel qui prévoit la désignation du président du Sénat comme président de la République par intérim.
Tout ceci explique certainement pourquoi Clément Atangana cristallise autant l’attention. Les acteurs institutionnels et politiques surveillent la santé du magistrat pour s’assurer qu’il sera en mesure d’assumer ses fonctions le moment venu. Quand une vidéo, qui montrait Clément Atangana marchant à l’aide d’un déambulateur, a atterri sur les réseaux sociaux, plusieurs internautes n’ont pas manqué de confesser leur crainte. Surtout que le président du Conseil constitutionnel ne fait pas que constater la vacance. Il garde aussi un rôle d’arbitre durant tout le processus de transition. Par exemple, la loi fondamentale oblige le président par intérim à le consulter avant de modifier le gouvernement s’il le désire.
Pour Clément Atangana, c’est sans doute une fin de carrière inespérée. Quand il est nommé en février 2018, c’est un peu la surprise générale. D’abord parce que les noms de quelques érudits du droit constitutionnel circulaient. Mais aussi parce que l’ancien président de la Chambre administrative de la Cour suprême était passé à autre chose quand il a pris sa retraite de juge. Pour s’occuper, il ouvre un cabinet d’avocats. Mais il n’aura pas le temps de plaider en robe noire. Le destin a fait de lui le tout premier homme à présider le Conseil constitutionnel, longtemps vu comme l’arlésienne des institutions prévues dans la Constitution de 1996. Car le président Paul Biya a attendu 22 ans avant de nommer quelqu’un à cette fonction.
Contentieux postélectoral
À la faveur de cette nomination, Clément Atangana devient la sixième personnalité dans l’ordre protocolaire. Il est surtout le régulateur du fonctionnement des institutions du pays. « Avant leur promulgation, les lois ainsi que les traités et les accords internationaux peuvent être déférés au Conseil constitutionnel par le président de la République, le président de l’Assemblée nationale, le président du Sénat, un tiers des députés ou un tiers des sénateurs, les présidents des exécutifs régionaux », comme on peut le lire dans la Constitution.
Le Conseil constitutionnel est aussi chargé de régler le contentieux postélectoral comme il l’a fait après l’élection présidentielle de 2018, dont les résultats étaient contestés par l’opposant Maurice Kamto qui revendiquait la victoire. Tout laisse d’ailleurs croire que c’est aussi pour gérer ce contentieux que le président a préféré Clément Atangana. C’est déjà lui qui en avait la charge quand il était président de la Chambre administrative de la Cour suprême, qui siégeait alors en lieu et place du Conseil constitutionnel. Mais rien n’est moins sûr.
Michel Ange Nga
Il ne dirige aucune unité de l’armée camerounaise et n’occupe aucun poste de prestige dans l’appareil militaire. Pourtant, le contre-amiral Joseph Fouda passe pour être un des militaires les plus influents du pays. Une réputation que ce natif de la Mefou-et-Akono (Centre) doit à sa proximité avec le chef de l’Etat. « C’est l’ombre du président », susurre un connaisseur du palais présidentiel. La même source ajoute que le contre-amiral Joseph Fouda est l’une des rares personnes qui voit le président presque tous les jours. Un privilège qu’il a conservé depuis plus de vingt ans.
C’est un jour des années 1990 qu’il tape à l’œil de Paul Biya, qui l’appelle auprès de lui comme aide de camp. Son prédécesseur a fait long feu, victime du syndrome d’Icare, selon des rumeurs de couloir. Ce personnage de la mythologie grecque se brûla les ailes pour s’être approché trop près du soleil. Car l’aide de camp du président est le seul à travailler dans le même étage que le locataire du palais d’Etoudi. En arrivant à ce poste, Joseph Fouda, qui est à l’époque capitaine de frégate (le grade de commandant dans la marine), va lui aussi se rapprocher du soleil. Il va entrer au cœur même du pouvoir. Il est de tous les voyages et de toutes les audiences. C’est lui qui a la responsabilité de porter les parapheurs et la fameuse mallette du chef de l’Etat. Mais il a aussi la charge d’organiser la sécurité rapprochée de Paul Biya.
En mars 2011, Joseph Fouda accède au grade de contre-amiral (général dans la marine). Une promotion qui oblige le président à le remplacer par un autre officier supérieur. « Un général ne peut pas occuper le poste d’aide de camp », explique notre source. Le 9 décembre de la même année, il est nommé conseiller spécial du président de la République. Pour notre interlocuteur, c’est la preuve que Paul Biya ne voulait pas se séparer de ce haut gradé « très compétent ». « Le poste de conseiller spécial n’est pas honorifique. Ce n’est non plus un poste pour cancres. D’ailleurs le Pr Luc Sindjoun est l’un des conseillers du président », fait savoir notre source.
Le contre-amiral Joseph Fouda est surtout connu pour ses compétences en matière de sécurité. Mais tout porte à croire que ce n’est pas seulement pour cette raison qu’il a tenu aussi longtemps auprès de Paul Biya. Comme tous les hommes au cœur du pouvoir, il est discret et mène une vie quasi monacale. La seule fois que son nom est cité dans les pages jaunes des journaux, c’est en avril 2015 après l’assassinat de son fils William, qui était officier dans le Bataillon d’intervention rapide (BIR), l’une des meilleures unités d’élite de l’armée camerounaise. Pendant ce drame, c’est la même photo qui revenait dans tous les articles sur ce proche conseiller du chef de l’Etat. Même à Binguela, dans son village à quelques kilomètres seulement de Yaoundé, il cultive la discrétion. On ne le voit presque jamais.
Par ailleurs, le contre-amiral Joseph Fouda est présenté comme un officier dévoué, comme le général de division Ivo Desancio Yenwo qui dirige la Direction de la sécurité présidentielle (DSP), le colonel Raymond Jean Charles Beko'o Abondo, commandant de la Garde présidentielle (GP) et le colonel Emmanuel Amougou, le chef d’état-major particulier du chef de l’Etat. Quatre militaires qui connaissent très bien les ors du palais présidentiel, les intrigues de cours et les secrets qui vont avec. Ces hauts gradés ont la confiance de Paul Biya depuis une dizaine d’années, pour les moins anciens.
Michel Ange Nga
En 2011, Jacques Fame Ndongo défraie la chronique quand il affirme qu’il est « une créature », « un serviteur », mieux « un esclave » du président Paul Biya, le « créateur ». Plus tard, il explique que c’est le président qui l’a politiquement créé. Son parcours ne le contredit pas. En effet, c’est bien en 1984, deux ans après l’arrivée de son pygmalion au palais d’Etoudi, que Jacques Fame Ndongo quitte la périphérie pour le centre de l’establishment avec sa nomination comme chargé de mission au cabinet civil de la présidence de la République.
En 1998, c’est encore grâce à Paul Biya que cet universitaire connu pour son bagout châtié passe de l’ombre à la lumière quand il est nommé cette fois recteur de l’université de Yaoundé I. Deux ans plus tard, il entre au gouvernement. Depuis cette date, il est ministre sans discontinuer. Ce parcours dans l’appareil d’État s’accompagne aussi d’une ascension dans les instances dirigeantes du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC, au pouvoir). En 2011, il intègre le bureau politique du parti au pouvoir, surnommé le saint des saints.
Pour la presse internationale, Jacques Fame Ndongo est sans aucun doute un proche du chef de l’État et « un rouage indispensable » de son système. Pendant plusieurs années, des sources au palais présentent même l’actuel ministre de l’Enseignement supérieur (Minesup) comme l’une des plumes de Paul Biya. Les mêmes sources laissent entendre qu’il a été remplacé lorsque les discours du président ont commencé à devenir très économiques, à l’époque où le pays implémentait en grande pompe le Document stratégique pour la croissance et l’emploi (DSCE), la déclinaison décennale (2010-2019) du programme « Cameroun, pays émergent à l’horizon 2035 ».
Pour comprendre cette longévité dans les derniers étages du pouvoir, il faut remonter aux premières années de Paul Biya à Etoudi, si on en croit les auteurs du « Dictionnaire de la politique au Cameroun », un ouvrage collectif paru aux Presses de l’université de Laval en 2017, sous la direction de Fabien Nkot. « Ce professeur de sémiologie semble avoir forcé l’estime du deuxième président de la République en étant l’un des rares à croire à son étoile politique aux premières heures de son pouvoir. Alors qu’une frange importante de l’opinion considère en effet, entre 1982 et 1983, que le pouvoir de Paul Biya ne pourra guère survivre aux menées déstabilisatrices des partisans d’Ahidjo, ainsi qu’à une forme d’adversité rampante », peut-on lire dans cet ouvrage scientifique.
Jacques Fame Ndongo a effectivement pris un risque en coordonnant l’écriture d’un livre intitulé « Paul Biya ou l’incarnation de la rigueur : essai biographique sur le deuxième président de la République uniedu Cameroun », paru chez Sopecam en 1983.
La même année, il fait éditer « Le Renouveau camerounais : certitudes et défis », aux éditions de l’École supérieure des sciences et techniques de l’information (Essti). Tout laisse croire que cette prise de risque a forcé l’admiration du jeune président qui en a fait homme-clé de son régime en prenant le soin de l’habituer avec les dossiers sensibles pendant son passage au cabinet civil.
En plus de cette position de prestige, Jacques Fame Ndongo n’hésite jamais à descendre dans le débat public pour défendre le président. Par exemple, quand un journaliste lui rappelle sur un plateau télé qu’un diplômé en master entré à la fonction publique dans le cadre du recrutement des 25 000 emplois touche un peu plus de 87 000 FCFA, le ministre fait savoir que c’est largement supérieur au Smic.
Il ajoute : « Chacun doit arrimer son niveau de vie à ses ressources. Il faut éviter l’ostentation et le mimétisme ». Dans le « Dictionnaire de la politique au Cameroun », il est en tout cas présenté comme l’un des derniers remparts du pouvoir de Paul Biya parce qu’il apporte systématiquement la contradiction aux contempteurs du président. Pour l’opinion, c’est un véritable laudateur…
Michel Ange Nga
Quand il prend la parole le 23 décembre 2023 pendant la troisième convention ordinaire du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC), le député Jean-Michel Nintcheu fait monter l’applaudimètre. Quelques minutes plus tard, la salle exulte quand il propose une alliance pour porter la candidature de Maurice Kamto à la prochaine présidentielle, censée se tenir en octobre 2025. Même si l’Alliance politique pour le changement (APC) a fait long feu (elle a été interdite par le ministère de l’Administration territoriale), elle a cristallisé l’attention de l’opinion pendant quelques mois. À en croire Jean-Michel Nintcheu, pas moins de 32 partis politiques avaient déjà rejoint cette plateforme pour porter la candidature du président du MRC en 2025.
Avec cet épisode, Jean-Michel Nintcheu a sans doute démontré qu’il est toujours une des principales voix du landernau politique camerounais. Cet ancien imprimeur-libraire déjoue ainsi les pronostics qui annonçaient sa mort politique après son exclusion définitive du Social Democratic Front (SDF) après un désaccord idéologique. Il a su rebondir en relançant les activités du Front pour le changement du Cameroun (FCC), son parti créé en 1992 qui végétait depuis qu’il a intégré le SDF quelque temps après. Ce parti est inspiré des idéaux du « SDF originel ». D’ailleurs, « toute la base du FCC, ce sont les militants du SDF. Trois mairies sur les quatre gagnées par le SDF lors des dernières municipales sont aujourd’hui avec nous », affirme-t-il. Son ambition n’est plus un secret, car Jean-Michel Nintcheu s’investit désormais pour une opposition frontale visant la victoire de Maurice Kamto à la prochaine élection présidentielle. Pour le parlementaire, le président du MRC est celui qui incarne le mieux cette opposition révolutionnaire prônée par le SDF à ses débuts.
Malgré son éviction du SDF, Jean-Michel Nintcheu est resté le même trublion qu’il a toujours été. La preuve, en mars dernier, il dépose une plainte contre le président de la République, Paul Biya, au Tribunal de grande instance de Yaoundé. Et une autre contre le secrétaire général de la présidence de la République, Ferdinand Ngoh Ngoh. Il accuse le premier de cumul de fonctions et le second d’usurpation de pouvoir. Plusieurs chroniqueurs politiques louent le sens du happening politique du parlementaire qui souhaite rester au-devant de la scène alors que les prochaines élections législatives approchent. Car, il est évident que ces plaintes ne vont pas prospérer.
Popularité
Quoi qu’il en soit, après 30 ans d’activisme et d’engagement politique sous la bannière du SDF, la popularité de Jean-Michel Nintcheu reste intacte à Douala, la capitale économique à la réputation de ville frondeuse. La percée du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC) de Maurice Kamto (avec qui il met un point d’honneur à soigner les rapports) dans le Littoral et son divorce avec SDF ne semblent pas avoir entamé la capacité de mobilisation de ce parlementaire qui reste des plus enviables dans la circonscription du Wouri-Est.
Fils d’un ancien combattant de l’Union des populations du Cameroun (UPC), Nintcheu est un activiste né. « À 16 ans, alors qu’il était encore élève, il s’est fait arrêter puis libérer en 1975, pour avoir distribué des tracts de l’UPC nationaliste », raconte un de ses proches. Le 23 février 2008, c’est encore Jean-Michel Nintcheu qui initie un meeting pour marquer son opposition à la modification de la Constitution et à la lutte contre la vie chère, matérialisée par la hausse des produits de première nécessité. Ces événements aboutiront aux « émeutes de la faim », observées dans plusieurs villes du Cameroun. Depuis lors, la plupart des manifestations publiques, organisées ou soutenues par ce diplômé de l’École de commerce de Toulouse (France 1984), sont interdites par les autorités administratives pour risque de trouble à l’ordre public.
Bourreau de Foning
En 2007, c’est bien lui qui bat feue Françoise Foning, la redoutable candidate du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC) au terme de la reprise des législatives dans cette circonscription électorale. Quatorze ans plus tard, il garde le lead puisqu’il est à nouveau choisi comme député par ces populations du Wouri-Est.
Dans tous les cas, dans la rue comme à l’hémicycle, cet « Upéciste manqué » s’accommode mal de la posture de l’opposition « républicaine », dont le fondement est la convivialité institutionnelle avec le RDPC. Certains membres du gouvernement l’ont souvent appris à leurs dépens lors des questions orales à l’Assemblée nationale. Et ce n’est pas Louis Paul Motaze, ministre des Finances, encore moins Manaouda Malachie de la Santé publique qui diront le contraire.
Selon lui, il en sera ainsi tant que la lutte pour le changement n’aura pas atteint son objectif. « La plupart des régimes africains ont changé, seul le Cameroun est toujours dans l’inertie. Je me battrai jusqu’à mon dernier souffle pour faire changer ce système », promet le natif de Banka dans le Haut-Nkam, région de l’Ouest. Cet ancien du collège Saint-Michel de Douala et du lycée Polyvalent de Bonaberi croit assurément à son destin !
Baudouin Enama
Son timbre vocal et même son visage sont inconnus de la majorité des Camerounais. Pourtant, depuis quatre décennies, Luc Ayang est au moins la cinquième personnalité du Cameroun, conformément à la fonction de président du Conseil économique et social (CES) qu’il occupe depuis le 25 janvier 1984. À la différence des autres hauts dignitaires de l’ordre protocolaire de l’État, ses apparitions publiques sont rares. Il se garde de parler à la presse et est absent des réseaux sociaux.
« Où avez-vous déjà vu un émissaire dans nos chefferies, se placer au milieu de la cour pour rendre compte d’une mission aux notables et aux sujets au lieu d’aller soumettre l’exclusivité de son rapport au chef à huis clos ? », confiait-il à un de ses proches cités par les journalistes Aimé Robert Bihina et Éric Benjamin Lamere, auteurs du livre « Bienvenue à l’Extrême-Nord. Radioscopie d’une province et de ses personnalités incontournables ».
Autant dire que si ce n’est une règle d’or, la discrétion, le secret et le silence sont au moins une marque de fabrique chez cet homme politique. Qui, dit-on, ne rend compte qu’au président de la République, Paul Biya. « Il est parmi les personnalités protocolaires de l’État, celui qui est resté le plus longtemps possible à son poste, sans faire les efforts réguliers de se faire réélire, comme c’est le cas pour la présidence de la République ou les chambres du Parlement. De quoi se dire que l’efficacité tient aussi de la discrétion », commente l’éditorialiste camerounais Roland Tsapi.
Antre du pouvoir
Originaire de Doukoula où il naquit en 1947, dans l’arrondissement de Kar-Hay, département du Mayo-Danay à l’Extrême-Nord du pays, ce fils Kirdi occupe la scène politico-administrative publique depuis 1975. Notamment avec sa nomination en mars dans l’antre du pouvoir, le Secrétariat général de la présidence de la République, comme chef de service de la législation et de la réglementation à la division des Affaires administratives et juridiques. Ce titulaire d’une licence en droit et économie obtenue en 1972 à l’Université de Yaoundé était alors un jeune administrateur civil, frais émoulu de l’École nationale d’administration et de magistrature (Enam).
En 1978, il fait son baptême du feu gouvernemental à la faveur d’un décret signé le 2 mai par le président Ahidjo qui fait de lui le ministre de l’Élevage, des Pêches et des Industries animales. Poste occupé jusqu’au 22 août 1983, date à laquelle Luc Ayang est bombardé, à 36 ans, au sommet du gouvernement par Paul Biya. Le successeur d’Ahmadou Ahidjo, démissionnaire en 1982, avait jeté son dévolu sur ce nordiste chrétien pour remplacer l’éphémère (05 mois) Premier ministre Maïgari Bello Bouba.
Il sera parmi les fidèles qui battent campagne pour Paul Biya, qui vient d’écourter le mandat hérité d’Ahmadou Ahidjo pour organiser l’élection présidentielle le 14 janvier 1984. Au sortir de cette consultation électorale victorieuse pour l’homme du Renouveau, le poste de Premier ministre est supprimé par un amendement constitutionnel. Paul Biya lui confie alors les rênes du Conseil économique et social pour un bail qui court toujours… 38 ans plus tard !
B.E.
Devenir Haut commis de l’État, Luc Messi Atangana, qui sait mieux que quiconque ce que valent les « instructions de la hiérarchie », ne l’avait certainement jamais imaginé. Malgré le choix porté sur lui par le président national du parti au pouvoir, par ailleurs président de la République, sa candidature au poste de maire de la ville de Yaoundé sera ouvertement contestée. Au point où, foulant au pied la fameuse discipline du parti, au nom de la démocratie que prône ce même parti, d’autres candidatures vont émerger.
Mais, après plusieurs tractations, et certainement une instruction ferme du président national du RDPC, l’administrateur civil plutôt discret, qui a fait ses classes dans les services du Premier ministre, finira par être « élu ». Une issue que conforte la thèse selon laquelle Etoudi tient toujours à avoir la main haute sur le poste de maire de la ville de Yaoundé et choisit minutieusement celui devant occuper cette fonction. Une fonction ô combien délicate, Yaoundé étant une collectivité territoriale décentralisée faisant figure de vitrine du pays et siège des institutions, dont le cosmopolitisme exige une gestion avec à la fois tact et fermeté !
Cette seule réalité, comme partout ailleurs sous les tropiques, crée les conditions d’une proximité entre l’édile de la capitale et le pouvoir central. Ce fut le cas entre André Fouda et le président Ahmadou Ahidjo, ou encore entre Paul Biya et Emah Basile, le successeur d’André Fouda, et plus récemment Gilbert Tsimi Evouna, dont l’éventuelle absence pourrait propulser Luc Messi Atangana au poste de trésorier national du RDPC, le parti au pouvoir.
En effet, sous le régime du Renouveau, en dehors de la parenthèse Nicolas Amougou Noma, le poste de trésorier national du RDPC, dont le titulaire n’est généralement remplacé qu’après sa disparition, échoit toujours au super-maire de la capitale. Un privilège auquel ne goûte pas encore le nouveau maire de la ville de Yaoundé, réputé être davantage un technocrate qu’un animal politique comme ses prédécesseurs, qui furent tous des caciques du parti avant d’arriver à la tête de la mairie de la capitale.
BRM
L’arrivée au trône en 2021 du 20e roi de la dynastie Bamoun ouvre une nouvelle ère au sein de l’une des chefferies traditionnelles les plus puissantes et réputées du Cameroun. Mais, cette mutation intervenue à la tête du sultanat Bamoun, avec le décès d’Ibrahim Mbombo Njoya, et l’intronisation de son fils, Nabil Mbombo Njoya, âgé de 28 ans, n’a pas modifier la collaboration séculaire entre cette chefferie de la région de l’Ouest et le pouvoir de Yaoundé.
En effet, le 25 février, le jeune sultan a publiquement affiché son soutien au parti au pouvoir en participant à l’installation des bureaux des sous-sections du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC) dans l’enceinte de son palais. On a vu cela venir. Quelques semaines seulement après sa présentation au public le 10 octobre 2021, le nouveau monarque a reçu la visite de Franck Emmanuel Biya, le fils du chef de l’État.
Le vœu du parti est « de voir éclore la prise de conscience de l’unité du peuple Bamoun sous la conduite du nouveau sultan (…) Le RDPC se tiendra à côté du peuple dans cette quête », avait indiqué le secrétaire général du RDPC après l’intronisation du sultan. En d’autres termes, Nabil Njoya devra batailler, avec plus de bonheur que le fit son père, pour que le département du Noun, terreau de la communauté Bamoun, ne soit plus la tour imprenable de l’Union démocratique du Cameroun (UDC), un parti politique de l’opposition ayant en horreur tout ce qui émane du palais royal.
Malgré son jeune âge, qu’éclipsent 17 années d’une préparation minutieuse à occuper le trône qui est désormais le sien, le roi des Bamouns va donc continuer à être le souffleur du pouvoir de Yaoundé, en matière de promotion de l’élite locale aux postes administratifs stratégiques. Exactement comme le fut son père, ou encore son grand-père, dont la chronique rapporte qu’il sauva l’actuel chef de l’État d’une démission collective d’une partie des membres de son 2e gouvernement en 1983, suite à une crise ouverte avec son prédécesseur démissionnaire, Ahmadou Ahidjo.
Depuis le retour au multipartisme en 1992, le royaume Bamoun est traversé par des divisions alimentées par l’opposition entre le RPDC et de l’UDC, aujourd’hui dirigé par Tomaino Ndam Njoya.
BRM
Paul Atanga Nji est l’un des ministres les plus importants du gouvernement de Joseph Dion Ngute. Cet anglophone de 62 ans, originaire de Bamenda dans la région du Nord-Ouest, est, depuis mars 2018, à tête du ministère de l’Administration territoriale (Minat).
À ce poste, Paul Atanga Nji exerce des compétences transversales en ceci qu’il est la tutelle des gouverneurs de régions. Il a l’obligation de rencontrer ces derniers deux fois par an. Des rendez-vous semestriels qui dressent le pouls de chaque région du pays. Grâce à cela, Paul Atanga Nji fournit des rapports périodiques sur la situation politique et sociale du pays à l’intention du sommet de l’État.
Mais ce ministre est aussi un maillon important dans la chaîne du renseignement parce qu’il revient à la direction politique du Minat d’exploiter les renseignements généraux et les rapports produits par la police et la gendarmerie. Sans oublier ceux des chefs de circonscriptions administratives.
Un monde que Paul Atanga Nji connaît bien. L’histoire raconte qu’il était déjà l’homme des situations difficiles quand il évoluait sous l’aile tutélaire du regretté Jean Fochivé, considéré comme l’une des meilleures barbouzes du régime de Paul Biya. En plus, Paul Atanga Nji est devenu le secrétaire permanent du Conseil national de sécurité du Cameroun, bien avant de se voir confier les clés du Minat par le président.
Ovni
Depuis quatre ans, il use de cette position d’influence à sa manière. Sa méthode, c’est parfois celle d’un éléphant dans un magasin de porcelaine. Il est loin d’être aussi cérébral que le diplomate René Emmanuel Sadi qu’il a remplacé à ce poste. Paul Atanga Nji enchaîne les phrases assassines. « S’il veut nous servir le vent, on lui servira la tempête et s’il veut nous servir la tempête, on lui servira le tsunami », lance-t-il à l’endroit de l’opposant Maurice Kamto, sans jamais citer son nom.
C’est en tout cas un véritable Ovni que Paul Biya a choisi de garder au Minat. Paul Atanga Nji n’a pas le profil de tous ses prédécesseurs. Avant lui, le président a systématiquement confié les rênes de ce ministère de souveraineté à des technocrates formés pour la plupart à l’École nationale d’administration et de magistrature (Enam). Pour la première fois depuis son accession à la magistrature suprême le 6 novembre 1982, le locataire du palais d’Etoudi est allé chercher un homme au parcours atypique, qui a tracé sa voie entre le monde des affaires, le militantisme politique et de divers rôles de sherpa.
La formule semble pourtant bien marcher. Les rumeurs de couloirs disent en tout cas que le président Paul Biya a toujours vu Paul Atanga Nji comme un homme efficace. Mais surtout comme un soldat qu’on lâche sur l’échiquier en contexte de crise. Quand il arrive au Minat, le Cameroun est en effet en proie à plusieurs crises qui menacent la stabilité du pays. À commencer par les crises sécuritaires dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Sans oublier la guerre que les militaires camerounais mènent contre Boko Haram à l’Extrême-Nord et la crise politique née de l’élection présidentielle d’octobre 2018. Autant de foyers de tension qui faisait tanguer le navire Cameroun qui continue, néanmoins, de voguer sur ces eaux troubles sans couler.
Michel Ange Nga
L’élection pour le moins houleuse de cet économiste formé en Allemagne, à la tête de la mairie de Douala, la capitale économique du Cameroun, en mars 2020, survient dans un contexte particulier. Pour la première fois depuis les soubresauts des années 90, ponctués par l’élection présidentielle contestée de 1992, le chef de l’État, Paul Biya, a officiellement perdu le scrutin présidentiel d’octobre 2018 dans la ville de Douala et l’ensemble du département du Wouri.
En jetant son dévolu sur le candidat du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC), Maurice Kamto, qui est certainement le politicien camerounais qui donne le plus d’insomnie au régime du Renouveau ces dernières années, Douala réaffirmait ainsi sa réputation de ville frondeuse acquise aux aurores du multipartisme au Cameroun en 1990, avec le basculement du terreau de l’économie nationale dans l’opposition.
Au regard de ces souvenirs et de la déculottée présidentielle de 2018 à Douala, normal que le choix puis l’élection du maire de cette ville en 2020 aient été surveillés comme de l’huile sur le feu par la hiérarchie du RDPC, le parti au pouvoir. Pour conquérir des populations visiblement en quête d’un renouveau longtemps annoncé, et toujours prêtes à battre le macadam pour diverses revendications plus ou moins légitimes, le parti au pouvoir a jeté son dévolu sur l’ancien président du conseil d’administration de AES Sonel. Et pour y parvenir, celui qui a été secrétaire général du ministère de l’Économie, de la Planification et de l’Aménagement du territoire (Minepat) de 2005 à 2010, enchaîne des projets.
Par exemple, sous son magistère, le projet de Bus Rapid Transit (BRT), qui permettra d’améliorer la mobilité dans la capitale économique, sera lancé au cours de l’année 2022 courante, après 8 années d’attente. Un financement de 260 milliards de FCFA a d’ailleurs été approuvé le 2 juin 2022 par la Banque mondiale, ouvrant ainsi la voie au démarrage effectif de ce projet. En 2023, Roger Mbassa Ndine annonce le lancement effectif des travaux de construction d’une ligne de tramway de 18 km dans la capitale économique camerounaise, autre projet attendu depuis belle lurette.
Afin de se donner davantage de marges de manœuvre pour accroître les investissements dans la capitale économique camerounaise, l’édile de Douala s’est, dès sa prise de fonction, lancé dans une bataille avec son prédécesseur, Fritz Ntone Ntone, pour le contrôle de la Société métropolitaine d’investissements de Douala (Smid). Il en est de même de la croisade pour le recouvrement des recettes relatives à l’affichage publicitaire dans la ville, pour laquelle Roger Mbassa Ndine, qui a géolocalisé tous les panneaux via un prestataire, essuie les foudres des régisseurs, sans pour autant lâcher prise.
BRM
Pour être parti de la tête de la Communauté urbaine de Yaoundé (CUY) en mars 2020, cet urbaniste ne goûte plus aux délices du rituel d’accueil et d’au revoir au président de la République, à chacun des voyages de ce dernier à l’étranger. Mais, comme pour confirmer son importance dans le landernau politique national, il a été aperçu le 13 février 2021 parmi les rares convives du président Biya, lors de la célébration de son anniversaire.
Adjoint au délégué du gouvernement (aujourd’hui maire de ville) depuis 1987, celui qui a passé l’essentiel de sa carrière de fonctionnaire au ministère de l’Urbanisme et de l’Habitat a été nommé premier magistrat de la ville de Yaoundé par le président de la République. Depuis lors, Tsimi Evouna travaille à entretenir de bonnes relations avec le palais d’Etoudi.
Comme pour dire merci pour sa promotion, l’administrateur civil aménage, trois ans après, un bois en plein cœur de la capitale qu’il baptise Sainte Anastasie, prénom de la mère du chef de l’État. Trois jours après l’inauguration, Paul Biya visite lui-même les lieux en compagnie de sa famille.
Dès lors, le patriarche des Angok, un clan minoritaire de Yaoundé, monte en puissance. La même année, il est nommé trésorier général du Comité central du RDPC, au pouvoir. En 2011, il est élu membre du bureau politique, le saint des saints. Ces responsabilités, qui semblent s’exercer à vie dans ce parti, donnent au fils d’Evouna Bella d’avoir voix au chapitre en ce qui concerne l’ascension politique des élites du Mfoundi, son département d’origine qui abrite aussi la capitale, voire de l’élite de la région du Centre tout entière.
Cependant, en dépit de leur importance, tous ces postes de pouvoir n’auront pas autant été les marqueurs de l’itinéraire à la fois professionnel que politique de ce fils d’Oyomabang, que son passage à la tête de la CUY. Pendant 15 ans en effet, Gilbert Tsimi Evouna a dirigé la super-mairie de la capitale d’une main de fer. Réussissant, du haut de sa silhouette filiforme et de sa rigueur inébranlable qui lui vaudront le sobriquet d’«homme sec», à détruire le très dangereux et redouté quartier Ntaba, à déguerpir sous des projectiles les habitants des flancs du mont Mbankolo, à imposer les parkings payants à Yaoundé, et à combattre avec acharnement le désordre urbain…
Au point d’être redouté par les très tracassiers vendeurs à la sauvette qui l’on surnommé « Jack Bauer », le héros de la série 24 Heures Chrono aux méthodes expéditives. Depuis décembre 2020, c’est à la tête du Conseil régional du Centre que trône Gilbert Tsimi Evouna. Un autre strapontin politique qui le met une nouvelle fois sous le feu des projecteurs, et renforce davantage son empreinte sur la sphère politique nationale.
BRM
Hier footballeur, aujourd’hui président de la Fédération camerounaise de football (Fecafoot), Samuel Eto’o a troqué shorts et crampons pour enfiler une tenue de dirigeant sportif. Peu de personnes avaient parié sur cette issue. La victoire du quadruple Ballon d’or africain dans un scrutin, que beaucoup pensaient fermé aux anciens sportifs et impossible à déverrouiller, a donc montré son influence au Cameroun, que ce soit dans le sérail ou au niveau de la population. Il a d’ailleurs joué de sa popularité auprès des couches populaires, menaçant de faire descendre les foules dans la rue, pour atteindre son objectif.
Samuel Eto’o a également montré qu’il avait le bras long… Quelques mois seulement après son élection, celui qui a appelé à voter pour Paul Biya lors de l’élection présidentiel d’octobre 2018, a joué de son entregent pour obtenir, sur « hautes instructions » du président de la République, la nomination de son ancien coéquipier, Rigobert Song, à la tête de l’encadrement technique de l’équipe nationale fanion de football. Il faut dire que le ministre des Sports et de l’Éducation physique (Minsep), Narcisse Mouelle Kombi, avait annoncé des jours avant le maintien de Toni Conceiçao comme sélectionneur des Lions indomptables après leur troisième place à la Coupe d’Afrique des nations (CAN) à domicile. Une décision contestée par l’ancien Barcelonais qui opposait notamment au ministre de tutelle les textes en vigueur disposant que la gestion administrative, sportive et technique des équipes nationales de football relève de la compétence de la Fecafoot.
Ce bras de fer remporté par l’ancien « goléador », aujourd’hui âgé de 41 ans (il est officiellement né le 10 mars 1981), a fait dire à ses partisans les plus fervents que « Eto’o peut », référence au célèbre slogan d’un opérateur de téléphonie mobile dont il est l’égérie. Il faut savoir que le double champion d’Afrique avait déjà tout mis en œuvre pour que la CAN se tienne en janvier 2022 comme prévu au Cameroun, alors que la Fédération internationale de football (FIFA) invoquait notamment une recrudescence du Covid-19 pour tenter de reporter à nouveau la compétition.
Déjà, face aux retards de certains chantiers et à la pression de la Confédération africaine de football (CAF) - sous la présidence du Malgache Ahmad Ahmad - Eto’o a « mouillé » le maillot pour sauver les meubles. Ce, alors que d’aucuns voyaient le spectre d’un possible retrait de la CAN au Cameroun se profiler, après l’édition de 2019 finalement attribuée à l’Égypte.
« Ami » des chefs d’État
Le bras du « 9 », tel que le surnomment affectueusement ses fans, s’étend bien au-delà du Cameroun. « Du président turc à l’émir du Qatar en passant par le président congolais Félix Tshisekedi, le nouveau président de la Fecafoot entretient un épais carnet d’adresses, qui lui assure des connexions dans le football, la politique et même les milieux économiques », affirme le magazine Jeune Afrique. En guise d’illustration, toujours selon ce média, Eto’o aurait facilité dans l’ombre le partenariat commercial qui lie le Rwanda au Paris Saint-Germain (PSG), club français propriété de l’émir du Qatar. L’ancien international camerounais a d’ailleurs été désigné en avril 2019 ambassadeur de la Coupe du monde 2022, prévue du 21 novembre au 18 décembre prochain dans cet émirat.
Une influence qui, selon certains médias, gênerait, Samuel Eto’o étant soupçonné de lorgner au-delà de Tsinga et surtout en direction d’Etoudi. La discrétion du président de la Fecafoot lors de la cérémonie d’ouverture de la CAN, le 9 janvier au stade d’Olembe à Yaoundé, a contribué a alimenté cette thèse. Certains ont d’ailleurs vu en « la marginalisation protocolaire » d’Eto’o, ce jour-là, une façon de contenir son aura.
Dans une vidéo, abondamment partagée sur les réseaux sociaux, Eto’o lui-même demande à l’artiste congolais Fally Ipupa de ne pas scander son nom durant sa prestation lors de ladite cérémonie. « Non, s’il te plaît, ne me cherche pas de problème. Il n’y a qu’un seul président ici au pays et il est là aujourd’hui », l’entend-on notamment dire dans la séquence. Un charisme qui a de quoi prêter des ambitions politiques au natif de New-Bell, à Douala ? Pour l’instant, Eto’o président, oui. Mais de la Fecafoot !
Patricia Ngo Ngouem
Son intrépidité tranche avec son allure frêle. Maximilienne Ngo Mbe ne recule devant rien lorsqu’il s’agit de défendre les droits de l’Homme et les libertés fondamentales, « deux choses essentielles à la démocratie », avance-t-elle. Pour ce combat auquel elle a déjà consacré trois décennies de sa vie, cette Bassa du département de la Sanaga-Maritime a reçu des coups, comme lorsque son domicile a été cambriolé et ses bureaux ravagés par un incendie suspect le 26 janvier 2020 et dont des circonstances « n’ont jamais été élucidées par la police », regrette-t-elle.
Actuellement directrice exécutive du Réseau des défenseurs des droits humains en Afrique centrale (Redhac), une ONG cooptée comme « observateur » auprès de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples (CADHP), elle fait partie des voix les plus audibles de la société civile africaine. En témoigne les prix qu’elle collectionne d’année en année : prix Robert F. Kennedy 2022, prix international du courage féminin 2021, top 100 personnes les plus influentes d’Afrique en 2018 du magazine News African, prix franco-allemand des droits de l’Homme et de l’État de droit 2016…
Sous sa casquette de lanceuse d’alerte, les dénonciations de la patronne du Redhac ont souvent été à l’origine des scandales agaçants et accablants pour le régime de Yaoundé. Ce fut le cas en juillet 2018, lorsqu’elle dénonce l’exécution sommaire par des soldats camerounais de deux femmes et de leurs enfants dans la région de l’Extrême-Nord. L’affaire tombe mal pour le pouvoir qui s’apprête à organiser l’élection présidentielle à laquelle le président Paul Biya est candidat à sa propre succession.
Le gouvernement se précipite alors pour démentir l’implication de l’armée dans ce scandale. Nonobstant les intimidations et menaces, Maximilienne Ngo Mbe ne lâche pas prise. Habituées des zones de conflits, les équipes du Redhac ont pris le soin de recouper les informations contenues dans une vidéo de trois minutes montrant l’incroyable scène.
Maurice Kamto
Après plus de deux mois d’enquête collaborative menée par la BBC, Amnesty International, le site d’investigation Bellingcat et la contribution d’internautes, ils finissent par déterminer le lieu et situer la date du crime (entre le 20 mars et le 5 avril 2015). Acculé, Yaoundé ordonne finalement l’arrestation de sept militaires, dont un lieutenant, tous soupçonnés d’être impliqués dans cet homicide.
En première ligne lors de la campagne de dénonciation du drame de Ngarbuh (Nord-Ouest) et récemment encore au sujet de la mort présumée des civils à Mautu dans le cadre de la crise anglophone, l’engagement de Maximilienne Ngo Mbe contre les exécutions extrajudiciaires et autres exactions imputées à l’armée, est diversement apprécié.
De fait, si l’experte de l’Union africaine (UA) sur les questions de démocratie, des élections et de la gouvernance est célébrée pour son courage, ses critiques acerbes contre l’armée sont mal perçues par le pouvoir. Le ministre de l’Administration territoriale, Paul Atanga Nji, soupçonne même son organisation d’être à la solde de « ceux qui veulent déstabiliser » le Cameroun. Cette thèse est d’autant plus soutenue qu’elle s’est souvent montrée solidaire à Maurice Kamto, l’opposant accusé d’être porteur d’un projet insurrectionnel.
« J’ai écouté et réécouté la sortie du Pr Kamto Maurice, je n’ai pas entendu le mot “insurrection”. J’ai lu son texte dans lequel il réclame son droit à la liberté d’opinion et de manifestation et depuis sa sortie on assiste à la sorcellerie pure et simple au grand jour », s’est-elle défendue.
Baudouin Enama
Depuis le 4 mars 2023, Jean-Pierre Amougou Belinga est un prisonnier. Il a été inculpé pour « complicité de torture » et placé en détention provisoire à la prison principale de Kondengui à Yaoundé, dans le cadre de l’affaire Martinez Zogo, du nom de l’animateur de radio enlevé et assassiné en janvier 2023. Après près de 12 mois d’instruction, l’homme d’affaires a été renvoyé avec 16 autres personnes, dont 14 agents des services secrets, devant le tribunal militaire de Yaoundé ou le procès s’est ouvert le 25 mars 2024. Il risque la prison à vie !
L’immunité dont semblait jouir le président-directeur général du groupe l’Anecdote a donc volé en éclat. Au centre de plusieurs affaires depuis plusieurs années, le promoteur de la télévision Vision 4 avait jusqu’ici réussi a passé entre les mailles de la justice. Les hautes personnalités de la République accusées en 2006 par son journal de pratiquer l’homosexualité, les responsables du Conseil national de la communication ou ses employés tombés en disgrâce peuvent longuement en témoigner ! Ses multiples interdictions de sortir du pays, finalement levées, en disent également long. Au point où, dans les milieux judiciaires, on le disait même invincible.
L’homme d’affaires devait cette réputation au réseau qu’il s’est tissé au sein du sérail. Quand il lui arrive de se raconter, Jean-Pierre Amougou Belinga n’hésite jamais à étaler la longue liste de ses « amis » haut placés. Sa proximité avec le ministre de la Justice, Laurent Esso, est de notoriété publique. Ce dernier était un des invités de marque de ses troisièmes noces avec la fille du colonel Raymond Thomas Etoundi Nsoé, ancien commandant de la garde présidentielle. Tout comme le ministre de la Communication, René Emmanuel Sasdi, ou du Travail, Grégoire Owona. Il s’est aussi souvent dit proche du général Ivo Desancio Yenwo, qui dirige la direction de la sécurité présidentielle… Et ce n’est pas tout.
Dans une interview au long cours sur Vision 4, le PDG du groupe L’Anecdote raconte que c’est le ministre de l’Enseignement supérieur, Jacques Fame Ndongo, un autre de ses « amis », qui l’a encouragé à investir dans la création d’un institut privé d’enseignement supérieur. Et dans une série d’enregistrements qui se sont retrouvés sur les réseaux sociaux en 2020, Amougou Belinga revendique sa proximité avec le ministre des Finances, Louis Paul Motaze (l’argentier national a par ailleurs pris plusieurs décisions jugées favorables à l’homme d’affaires, empêtré dans un redressement fiscal de 30 milliards de FCFA, depuis fin 2021) et même avec des chefs d’État de la sous-région, dont le Centrafricain Faustin-Archange Touadéra.
Il semble néanmoins que l’épreuve qu’il traverse ne lui pas fait perdre tous ses soutiens dans l’appareil de l’État. En témoigne le traitement dont il bénéficie au sein du pénitencier de Kondengui. Dans cette maison d’arrêt, redoutée pour sa promiscuité et sa surpopulation carcérale, Jean-Pierre Amougou Belinga occupe une cellule individuelle. La pièce a été aménagée à sa convenance. Derrière les barreaux, l’homme d’affaires, qui reste accroché à son téléphone portable, reçoit des files interminables de visiteurs et suit de près ses activités.
Fonds publics
Cet originaire de la Mefou-et-Akono, dans le Centre du Cameroun, parti de rien (il a longtemps enchainé les petits boulots pour survivre), est, en effet, aujourd’hui à la tête d’un groupe tentaculaire… Il est le patron de plusieurs médias (Vision 4, radio Satellite, L’Anecdote…), d’une microfinance (Vision Finances), d’une société de distribution d’eau potable (Eaux équatoriales du Cameroun SA), d’un institut privé d’enseignement supérieur et d’une flopée d’entreprises de prestation de services. Depuis 2023, il est même entré dans la distribution des produits pétroliers, et sa société (ABP) compte déjà plusieurs stations-service.
L’Agence nationale d’investigations financières (ANIF) estime qu’entre 2018 et mi-2020, ces sociétés (Vision Finances exclue) ont brassé la rondelette somme de 90 milliards de FCFA. Cet argent est constitué des fonds publics provenant notamment du fameux chapitre 94, logé au ministère de l’Économie, de la Planification et de l’Aménagement du territoire (Minepat). Alors à la tête de ce ministère, Louis Paul Motaze a, selon des documents officiels qui ont fuité, accordé à ce groupe au moins 2,6 milliards de FCFA entre 2017 et 2018 notamment pour acquérir la chaine de télévision Télésud, revendue en janvier 2024 à un peu plus de 14 millions de FCFA.
Cette révélation de l’ANIF alimente depuis le débat sur les bénéficiaires réels de l’argent qui atterrit dans les comptes bancaires des entreprises de Jean-Pierre Amougou Belinga. Au final, celui qui a été élevé, le 20 mai 2022, au rang d’officier l’Ordre de la Valeur, la plus haute décoration honorifique camerounaise qui récompense les services « éminents » rendus à l’État du Cameroun, n’est-il pas qu’un simple homme lige du système ? Lui, il préfère en rire, se présentant comme un self-made-man. L’un exclut-il l’autre ?
Michel Ange Nga